Laurent Lefeuvre sur Fox-Boy: »Aller plus loin que ce qu’on voit d’habitude, y compris chez soi »

C’est un pic, c’est un cap, une véritable bombe! Depuis deux tomes, Laurent Lefeuvre met en action un super-héros… breton. À peu de choses près, une première dans un monde de l’édition francophone encore frileux à voir naître des comics à la française. C’était sans compter la ténacité de Laurent Lefeuvre et sa volonté de créer un univers partagé. Paotr Louarn était né, mais peut-être le connaissez-vous mieux sous le nom de Fox-Boy.

À l’heure où le renard fait bien plus que passer et reste dans les rayons des libraires, il était temps de vous le présenter. Et ça tombe bien, Laurent Lefeuvre est passionnant. Suivez-nous donc en voyage en Bretagne, avec des vues sur les States et l’industrie du comics, mais aussi au coeur des vraies fausses éditions Roa et sur la piste d’une démarche d’auteur pur, qui sait où il va.

Bonjour Laurent! Faire un comics en France, pas banal ? Pensiez-vous que c’était un rêve impossible ?

Oui. Pendant longtemps en effet, je me suis dit que j’étais né dans le mauvais pays. Aujourd’hui, je ne dirai pas que l’Amérique soit la panacée, ni la France un pays maudit. Disons qu’il faut savoir tirer parti de sa situation, quelle qu’elle soit, et en tirer une force.

Pour ma part, être loin des embouteillages du marché Américain, que je ne cherche aucunement à concurrencer, ni même à imiter, est plutôt confortable, dans la mesure où je suis un peu seul sur ce « créneau ». Pour le moment, je navigue à vue, mais bien motivé.

Fox-Boy - Laurent Lefeuvre - garcon renard

Le marché français est-il plus ouvert aujourd’hui à ce que la création de comics francophones émerge ?

Ce n’est pas franchement évident. Disons que les lecteurs de comics ont déjà fort à faire avec l’offre US, sans avoir de fait, besoin de s’enquiquiner à regarder ce que tentent quelques rigolos dans mon genre. Je ne leur jette pas la pierre : c’est moi qui ai besoin d’eux, pas l’inverse !

D’histoire en histoire, en apparence indépendantes, vous tendez un fil conducteur (les éditions ROA), pourquoi ? Est-ce une démarche d’auteur de créer un seul et même univers ? D’où vient cette idée d’univers partagé ? À la différence des grands univers Marvel etc., vous êtes seul pour élaborer cet univers. Cela change-t- il la donne ?

Ce principe d’univers est une chose qui relève de la logique pour moi. Ayant grandi en lisant du Marvel, le mécanisme d’univers partagé m’est tout à fait naturel, à tel point que je m’étonne encore parfois de ne pas voir les auteurs franco-Belges s’amuser à mélanger leurs créations, se prêter des personnages, comme un club de foot prête un joueur. Un des torts de notre industrie par trop artisanale en ce domaine. Alors oui, c’est quelque chose d’un peu inédit ici, surtout du fait que je trimbale ce petit monde d’éditeur en éditeur. La limite en est, effectivement, que je suis seul aux manettes, jusqu’à la couleur. Cela limite donc la vitesse d’expansion du ROAyaume (puisque c’est le nom de mon petit univers de poche).

Cela était-il prémédité dès le début ? Quels sont vos références dans ce genre d’univers en expansion ?

Oui, c’était à la fois prémédité, et très instinctif. C’est une forme de logique venue de ma culture comics. Ma référence est donc Marvel en premier lieu. Twin Peaks, aussi, parce que Lynch a utilisé plusieurs supports pour raconter son histoire autour de la résolution du meurtre de Laura Palmer : Une série télé, un roman « Le Journal de Laura Palmer «  (paru le lendemain de la diffusion de l’épisode où les héros mettaient la main dessus), et un film pour conclure l’histoire, quelque temps plus tard.

Pour Lynch, tous les moyens et supports sont bons pour terminer une histoire. Je souscris à cette démarche. À ce titre, les éditeurs sont parfois des gens à convaincre pour pouvoir atteindre ce but coûte que coûte, comme des obstacles à franchir. Que je ne puisse pas raconter la suite de Tom et William au Lombard ? Alors je le ferai autrement, dans un autre cadre, chez un autre éditeur, même six ans après, dans Fox-Boy. C’est une attitude qui vaut dans les comics comme dans la vie : si c’est important, il faut être patient, créer les conditions, et saisir les opportunités avant qu’on vous donne l’autorisation.

Laurent Lefeuvre - Louarnig

Y’aura-t- il de vrais « one-shot » ou comptez-vous à jamais rester dans cet univers tentaculaire ? N’est-ce pour le moment que la surface visible de l’iceberg ?

Je n’en sais encore rien. Je m’adapterai, suivant le contexte, et les possibilités. Mais ce qui est sûr, c’est que ce ne sont ni l’envie, ni les idées qui manquent !

Pour y parvenir, encore fallait-il avoir l’accord des deux précédents éditeurs. Chose facile ?

Oui ! Car Antoine Maurel et Gauthier Van Meerbeeke sont des gens intelligents, qui ont compris, au-delà d’un corporatisme stérile, qu’il faut parfois laisser un peu la bride sur le cou à un créateur, pour qu’il puisse apporter quelque chose d’un peu excitant.

Et puis ils n’avaient rien à perdre, si ce n’est d’écouler quelques Tom et William de plus, puisque cet album est désormais le prequel officiel de la série Fox-Boy.

Tom et William - Laurent Lefeuvre - Fort Alamo

Quant à Mosquito, Michel Jans est une crème, totalement étranger à l’idée même de s’opposer à un auteur, qui plus est dans le développement d’un univers dont il est également acteur (en tant qu’éditeur de « La Merveilleuse Histoire des Éditions ROA » – le « handbook » du ROAyaume).

Comment êtes-vous tombé dans le comics ? Quel a été votre premier coup de foudre ? Et vos maîtres ?

J’y suis venu par la télévision. Je suis né en 1977. J’ai donc découvert Spider-Man, en dessin animé, à la maternelle (la vieille série de 1967, visible sur YouTube). Peu après, je retrouverai ce personnage dans les pages de Télé-Junior, dessiné par Gérald Forton (Bob Morane), puis (enfin) dans Strange et autres revues Lug. Mes idoles s’appelaient alors Gene Colan, John Byrne ou Frank Miller. La liste s’allongera par dizaines de nouveaux noms dans les mois et années suivantes.

Vous en lisez toujours ? Des coups de cœur récents ?

Peu, à vrai dire, j’avoue. Je relis mes classiques. Born Again, Dark Knight Returns, Year One (3 œuvres de Miller). Tout ce qui est signé Alan Davis, pour sa mise en page imparable, et son esthétique. Barry Windsor Smith (Weapon-X).

Actuellement, j’aime bien Frank Quitely (We3, Batman, Jupiter’s Legacy), Greg Capullo (son Batman avec Snyder et FCO Plascencia à la couleur. Je suis curieux de voir son creator owned avec Mark Millar). Sinon, j’aime beaucoup le Hellboy in Hell (fin de la saga de Mignola), toujours avec Dave Stewart à la couleur. Le binôme est au sommet de son art. Richard Corben, à près de 80 ans, est toujours bien au-dessus de tous les dessinateurs de ma génération, parce qu’il ne se contente pas d’effets faciles. On sent un sincère amoureux du dessin, et ça, ça transparaît peu chez les autres, car souvent enfermés dans un système certes, parfois efficace, mais peu enthousiasmant (excepté Quitely). C’est le dessinateur qui parle.

Du coup, comment expliquez-vous votre fascination du comics ?

Comme toujours, ça a quelque chose à voir avec la petite enfance ! Des souvenirs sublimés, des échanges passionnés avec un pote au collège, et une réelle, absolue, fascination pour la manière si différente, avec laquelle chaque dessinateur est capable de renouveler graphiquement, narrativement, un concept, un personnage, dont on croyait pourtant avoir fait le tour. Le jeu des combinaisons avec de grands encreurs (Janson, Palmer, Austin, Green…) sublime encore cet effet.

Laurent Lefeuvre - Batman

Que lisiez-vous petit ? Y’avait-il un marché de la BD en Breton ?

Pas particulièrement. Il faut savoir qu’un tout petit pourcentage de la population, surtout de ma génération, parle encore le Breton. Et encore, historiquement, l’Ille-et-Vilaine où je vis, n’a jamais été brittophone (parlant le breton). Et si quelques albums ont été traduits en Breton, c’est surtout dans une volonté militante, plus que pour répondre à un créneau commercial. Enfant, donc, je lisais de la BD de kiosque. Des pockets, comme Akim, Zembla, puis les super-héros qui paraissaient en France et en Belgique dans Strange. Ado, ce furent les revues Métal Hurlant, À Suivre, les premiers Fluide Glacial ou l’Écho des Savanes. Mais mon chouchou, c’était USA magazine, avec Corben, Eisner, Neal Adams, Bernet, Wood, Jones, et le meilleur de tous : Bernie Wrightson !

À partir de quel moment l’idée de vivre de la BD s’est-elle insinuée ? Est-ce aussi difficile que beaucoup le disent ? Comment avez-vous appris le Neuvième art ? Quel fut votre parcours ?

Ce n’est pas simple, en effet, mais c’est normal, car c’est un métier qui fait beaucoup rêver. Du coup, beaucoup idéalisent son processus (« on est cool, on vit dans notre monde, on se nourrit de notre art, etc. »). C’est parfois vrai. Pour ma part, je suis autodidacte. J’ai appris en copiant des dessins, et en lisant des entretiens, toujours les mêmes, dans les fanzines BD ou dans les magazines où ils étaient publiés. Car nous parlons d’une époque pré-internet, où les infos n’étaient pas légion. Du coup, je relisais encore et toujours, jusqu’à comprendre quelque chose dans ce qui était souvent abstrait. Et puis on dessine. Tout le temps. Et on se dit (toujours à l’heure actuelle), qu’on ne vaut pas grand chose par rapport à ses modèles. Tant mieux, quelque part : Ça motive pour avancer.

Laurent Lefeuvre - Metaluna - Stallone

Plus jeune, ce complexe d’infériorité vis-à-vis de mes modèles, m’empêchait parfois de vraiment travailler (acheter du bon matériel, apprendre les bases du dessin), persuadé que ces types là étaient forcément des magiciens, des extraterrestres et que ce n’était même pas la peine d’essayer. Je le crois toujours, d’ailleurs. Peu de dessinateurs de ma génération ne me font cet effet là.

C’est sans doute pour ça que je lis aussi peu de la production actuelle : j’ai le sentiment qu’on ne cherche pas la même chose.

Était-il évident de créer le premier super-héros breton, avec sa propre singularité ?

Quand on a tous ces modèles dans sa bibliothèque, la création devient une série de décision « oui/non », qui oriente la création à chaque instant, vers une direction, tandis qu’elle en ferme une autre. Comme un problème de mathématiques, en quelque sorte. On a une tonne d’inconnues à résoudre, à identifier, à contourner, à créer. C’est comme un jeu vidéo mental, où l’on est à la fois le joueur et le concepteur. En tout cas, c’est comme ça que je me le représente.

Fox-Boy - Laurent Lefeuvre - garcon renard 2

Cela a-t- il été un long processus de maturation ?

Non, dans le sens où ça me semble l’aboutissement de tout ce que je suis aujourd’hui. C’est même très naturel. Le mélange de ce que j’aime et ce que je suis (limité par ce que je sais faire, évidemment).

L’histoire est-elle écrite et prévoit-elle les tomes longtemps à l’avance ? Ou procédez-vous tome par tome ?

Un mélange des deux. Je suis un cuisinier qui sait ce dont il dispose dans son réfrigérateur. Au fur et à mesure où il utilise des ingrédients et compose des plats, un menu se dessine. Je sais que je ne sortirai pas deux fois le même produit, le même effet, deux fois dans un même repas. Alors il faut innover constamment, s’adapter. Donc je continue d’improviser (meilleur moyen de continuer à se surprendre, à changer les plans en cours de route, et faire plaisir à ces convives). S’il y a une part d’artistique dans ce métier, c’est bien là qu’elle se trouve : Une attitude de ne pas se contenter d’une recette qui aura fait ses preuves.

Fox-Boy - Laurent Lefeuvre - immeuble

Le deuxième tome est plutôt bien accueilli, si je ne m’abuse (peut-être encore mieux que le premier), mais aviez-vous des doutes au moment d’offrir au public la naissance de ce nouveau super-héros ?

Pour filer la métaphore du cuisinier : j’aime de plus en plus cuisiner. Et si je prends de plus en plus de risques, c’est que c’est excitant d’aller plus loin que ce qu’on voit d’habitude, y compris chez soi. Après, la possibilité que ça ne plaise pas est toujours là. Seule celui qui ne cuisine jamais ne déçoit jamais.

Sortons de la cuisine, allons au poulailler, pourquoi le choix du renard ?

Pour répondre, il faut repartir en début 2010. Je viens de sortir Tom et William au Lombard et je veux revenir aux super héros. Je présente deux ou trois projets notamment à Thierry Mornet (Delcourt), mais celui-ci n’est malheureusement pas encore aux commandes de la collection qui accueillera plus tard Fox-Boy). On me disait généralement : « Non, c’est américain, ça ne nous parle pas, on ne sait pas comment le vendre. » Choux blanc, donc. À la même époque, un journal en breton, à tout petit tirage, Louarnig, édite pour les 8-12 ans un mince fascicule de 16 pages. Ils souhaitent me proposer une page mensuelle pour leur nouvelle formule. Une page, c’est bien, mais cela cantonne à faire du gag, type Gaston ou Boule et Bill. On ne peut pas vraiment construire quelque chose. Or, j’ai toujours en tête de bâtir une histoire avec un super héros, voire un petit univers. Puisque je ne peux pas le faire avec les maisons d’édition classiques, je deale avec eux, non pas une, mais trois pages. Mais cela me permet de faire des mini chapitres tous les mois, avec ce petit « à suivre ». Au début, j’ai des idées de loup-garou.

Fox-Boy - Laurent Lefeuvre - batman

Mais comme le journal s’appelle Louarnig («petit renard» en breton), l’idée me vient d’un héros qui serait un peu comme Pif : à la fois un héros, mais aussi le nom du journal et sa mascotte. De plus le renard est plus intéressant que le loup-garou. Le loup est utilisé jusqu’à la corde dans les comics (Wolverine, Rahne, Feral, Lobo, Wolfman, etc). Le loup, c’est la force brute, les muscles, et non pas le cerveau. Et comme j’ai aussi l’idée de situer les aventures en Bretagne, je me dis qu’une sorte de renard-garou serait un personnage à échelle humaine, type Daredevil. Pas quelque chose d’édifiant à la Superman. Le renard symbolise la malice, l’intelligence. Pour un adolescent, c’est intéressant de creuser sa propre individualité plutôt que de se fondre dans un groupe ou un drapeau. L’idée suit son chemin. Les lampadaires de Rennes donnent des nuits orange à la ville. Si vous vous baladez la nuit, que vous sortez de la rue Saint-Michel avec des copains, les nuits sont orange ! Alors, quoi de mieux qu’un goupil pour se fondre dans la ville ?

Fox-Boy - Laurent Lefeuvre - crayonne Alain Chevrier Fox-Boy - Laurent Lefeuvre - encrage Alain Chevrier Fox-Boy - Laurent Lefeuvre - couleurs Alain Chevrier

Tout ça, c’est une suite de réflexions qui m’amène ce personnage dans sa première mouture : celle d’un Spider-Man, version renard. Rien de plus français que le renard. Animal mal aimé, et pourtant plus on l’étudie et plus il bluffe par son intelligence.

Ensuite, quand il renaîtra chez Delcourt en 2014, je rendrai sa personnalité plus… trouble. Un aspect du renard est d’utiliser son intelligence à des fins égoïstes. Incarné chez un jeune homme, ça donne un personnage qui hésite entre la malice, le côté malin, et son pendant d’intelligence, le fameux vivre ensemble, en route vers le citoyen. Et ça, c’est la deuxième mouture du personnage. Je creuse ce côté ambigu, pas forcément très sympathique, sur le modèle d’un Nils Holgersson ou de Scrooge dans le Christmas Carol de Dickens, avec le fantôme du passé, du présent, de l’avenir. Fox-Boy est donc dans l’actuelle mouture, l’histoire d’ un voyage initiatique. C’est un personnage qui se construit avec l’arrivée des pouvoirs.

Fox-Boy - Laurent Lefeuvre - comics

De près ou de loin, vous ne quittez jamais vraiment la Bretagne, ses légendes, son atmosphère, breton un jour, breton toujours ?

Sans doute ! À mon corps défendant ! Mais que ça ne soit pas pris comme une étiquette : les Bretons aiment voyager, rencontrer l’autre, et se laisser bouleverser par lui. C’est une manière très pacifique d’être parfois… un peu chauvin !

D’ailleurs, il y a cette traduction bretonne de Fox-Boy, Paotr Louarn, une réussite supplémentaire et un honneur ? Cette défense de la langue, sa protection et la revendication de celle-ci, cela vous semble-t- il important à l’heure où cet héritage s’efface sans doute un peu au fil des années ?

C’est vrai. Moi-même ne suis pas issu d’un département Brittophone (comme la Belgique, la Bretagne se distingue par deux traditions orales : Le Breton, à l’Ouest, et le Gallo – sorte de patois de Français – à l’Est). De manière générale, je suis sensible à la cause des langues dites régionales, dont l’apport culturel est plus grand que ce que la majorité se représente. C’est une forme de richesse peu évidente à comprendre pour qui en est étranger. Alors à défaut de la parler, j’apporte ma petite pierre, en permettant à une jeunesse brittophone, plus habituée à n’avoir que les traductions de Tintin, Buddy Longway ou Boule et Bill à se mettre sous la dent… de lire une série comics, faite chez eux, par un auteur local, et avec un héros Breton qui a leur âge. Une manière comme une autre de les aider à inscrire leur culture, leur langue, dans la modernité, condition pour que cette langue s’inscrive dans la modernité.

Fox-Boy - Laurent Lefeuvre - breton

Au-delà du fait que vous dessinez comme un dieu, il y a dans votre œuvre ce génie et cette richesse narrative tant dans les effets stroboscopiques que dans le découpage et la variation des formes et tailles de cases. Comment vous y prenez-vous ? Cela est-il longuement réfléchi ou est-ce plus impulsif ?

N’exagérons franchement rien : Je pourrais vous montrer tous les défauts, notamment d’anatomie, présents dans chaque case! Pour le reste (la composition), c’est un mélange d’instinct décomplexé (la lecture de comics), et de souci que chaque cadrage, point de vue, planche, et double planche aie un sens narratif précis… autant qu’une fonction esthétique (en clair : essayer de faire beau !).

N’y a-t- il pas une certaine libération dans ce tome 2 ? Avec un graphisme de plus en plus réussi et ambitieux ?

C’est ce que j’ai la faiblesse de croire, en tout cas : moins d’encrage, plus de place pour la couleur narrative (notamment dans le premier récit, pendant cette nuit de tempête dans la montagne, où le trait à l’encre noire occupe au final, peu de place, au profit de la couleur). Voilà l’avantage de tout faire seul… autant que la limite du système US, où chaque tâche est confiée à une personne (scénario, crayon, encre, couleur, lettres). Dur de tenir une vision de bout en bout, dans ce cas de production mécanisée. Pour ma part, je me suis bien amusé, autant que pris la tête, à dessiner ce deuxième tome.

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Pourrait-on voir un jour des héros US bien connus débarquer dans Fox-Boy ou préférez-vous créer ce genre de figure aussi emblématique que fictive ?

Pour des raisons de droits évidentes, je ne peux faire mieux que « citer » ou « évoquer » des figures US bien connues, comme vous dites. Mais quel dommage, ceci dit entre nous ! La rencontre avec Fox-Boy (qui est un geek, autrement dit, un fan), serait très drôle à écrire !

Pol Salsedo ressemble-t- il à l’enfant que vous étiez ou que vous êtes toujours ?

Non. Il est bien plus beau gosse que moi. Et plus sûr de lui que je ne l’étais, aussi. Par contre, j’étais plus sympa.

Certains jouent aux cowboys et aux indiens, vous, jouiez-vous aux super-héros ?

Peut-être en maternelle. Capitaine Caverne (dessin animé de Hanna Barbera). Sinon, jouer aux cow-boys, en se tapant sur les cuisses pour faire croire qu’on galopait, c’était quand même quelque chose ! Jouer à Superman, c’est plus dur !

24) Outre un graphisme rendant hommage à l’âge d’or des comics, Pol se révèle quand même assez sombre, en proie à ses démons intérieurs. Depuis quelques années, cette noirceur n’est-elle pas de plus en plus présente ? Dans les comics mais aussi ailleurs ?

Pas vraiment l’âge d’or. Plutôt l’âge d’argent (années 60-70) et bronze (années 80). Je crois que la noirceur que je traite est différente de celle que je constate aussi dans les comics. La mienne n’est pas cynique. Elle est plus réaliste, reflet d’une époque pas toujours très funky. Nos deux pays en ont récemment fait la douloureuse expérience. Mais cette apparente noirceur ne vient pas du héros, mais d’un certain contexte qui l’écrase parfois un peu. Elle ne justifie pas par des d’artifices, la violence que le lecteur de comics (nous dit-on) souhaiterait voir. En clair, je n’aime pas la noirceur quand elle cache une absence de propos, ou un propos qui ne me plaît pas (racisme déguisé, tentation fasciste, fascination pour les armes et la violence pour la violence).

Pol commence son récit bien plus en colère qu’il ne l’est à la fin du tome 2. Au contraire, après une phase de remise en question, puis un drame, il est surtout rongé de remords, de doutes. Au final, la vie continue et il fait face.

Fox-Boy - Laurent Lefeuvre - le mal-loup

D’ailleurs, la page-titre qui ouvre le tome 2 (seul, de dos, courbé, face au précipice) fait écho à la dernière planche, en contrechamps, où Pol est vu dans la même position, en contre plongée, toujours face à l’abyme. Et s’il fait toujours face à un futur incertain, cette fois, il domine, le regarde droit dans les yeux, prêt à faire face. On est clairement pas dans une vision à la Walking Dead, Punisher ou Spawn !

Loin de beaucoup de héros qui du premier tome au 67 ème n’ont pas pris une ride, vous faites vieillir votre héros. C’était important ?

Oui. À l’instar de Harry Potter, j’aime cette élégance qui consiste à ne pas ajouter de l’improbable (éternelle jeunesse) à l’improbable (super pouvoirs). Les héros vieillissent, comme nous tous.

Ils ont une part de réalité, de vérité. Ce serait dommage de ne pas faire – là aussi – différemment des cousins Américains.

Cela vous permet de vivre et faire vivre votre héros avec votre/son époque et de faire « un clin d’œil » à Charlie Hebdo. Une tragédie qui vous a touché ? A ébranlé le monde de la BD?

J’espère qu’il a touché tout le monde, pas seulement le monde de la BD. D’ailleurs, à pas mal de points de vue, je considérais ces types bien plus brillants que le plus brillant auteur de BD, de par des décennies d’engagement politique, citoyen, intellectuel. On retrouve ces qualités dans de nombreux métiers. Comme disait Pasteur: « Ce n’est pas le métier qui fait la gloire de l’homme, mais l’homme qui fait la gloire du métier« . Ces types, Cabu et les autres, étaient l’honneur de notre métier.

Laurent Lefeuvre - Hommage Charlie Hebdo Laurent Lefeuvre - terroristes

Le temps est aux adaptations de comics au cinéma. Vous en êtes consommateur ?

À petite dose, quand c’est réussi, oui !

Qu’avez-vous trouvé réussi ou pas ?

Je me suis bien marré aux Gardiens de la Galaxie : sans prétention autre que distraire. Et puis ils avaient l’avantage de ne pas toucher à des icônes puisque personne ne les lisait AVANT ! J’aime bien la trilogie Batman par Nolan, et Kick Ass. Mais j’ai pas mal de retard en films. Par contre, je ne suis pas emballé par les films de X-Men, ni les Avengers (trop G.I Joe pour moi). La série Daredevil est très agréable à regarder aussi. Ce n’est pas MON Daredevil, mais ce n’est pas honteux du tout.

Continuons dans le cinéma, n’y a-t- il pas un peu de Carpenter dans Fox-Boy ?

Absolument ! J’adore Carpenter !

D’ailleurs, dans un poisson d’avril, vous parliez d’une adaptation à l’écran de Fox-Boy. Passé la blague, ça vous plairait ? Fox-Boy a-t-il vu le jour sous d’autres formes et produits dérivés ?

Bien sûr, que ça me plairait ! Mais pas pour faire un nanar fauché ! Ça, c’est toujours marrant quand ce sont les autres qui en font les frais, pas son propre bébé ! Pour le moment, Fox-Boy existe depuis 60 numéros, dans le journal Louarnig, un peu moins en Occitan, en un fascicule comics, dans deux aventures du Garde Républicain, deux fascicules en Breton, et deux albums en Français. C’est déjà pas mal !

Fox-Boy - Laurent Lefeuvre - crayonnes monstre autre dimension Fox-Boy - Laurent Lefeuvre - encrage monstres autre dimension

Qu’est-ce qui fait pour vous qu’un comics ne sera jamais vraiment adaptable au cinéma ? Quelles sont les forces de ce format ?

La puissance des cases, la juxtaposition des unes par rapport aux autres, le fait que l’œil choisisse à l’instinct, le temps qu’il restera à regarder une case, un détail, au lieu de se voir imposer le rythme d’un monteur vidéo. Et puis cet incroyable plaisir qu’il y a au moment d’attraper la page suivante, de la tourner, et de découvrir en un regard… la SUITE !

Outre votre activité de création de Bd de fiction, vous maniez une autre corde à votre art, le BD-Reportage, souvent dans les environs de Rennes. Comment y avez-vous goûté ? Que cela vous apporte-t- il ? Êtes-vous du genre à dessiner tout le temps même en vacances ?

Par hasard. Une réunion d’auteurs rennais a eu lieu à l’initiative du scénariste Dieter (Névé, Julien Boisvert…). Il s’agissait de proposer une série de BD-reportages pour le site de ma ville (Rennes). J’ai été le premier. Ça c’est si bien passé, qu’ils n’ont jamais voulu en faire avec un autre que moi ! Le septième sera bientôt en ligne (sur le chantier de la deuxième ligne de métro de la ville). Eh oui : Je suis du genre à dessiner en vacances. En tout cas, à noter des idées.

Quelques extraits (beaucoup plus sur le blog de Laurent):

Y’a-t- il des histoires inédites de Fox-Boy ? Notamment dans les parutions bretonnes ?

Oui, mais rien de bien folichon. En tout cas en l’état !

Sur votre mur Facebook, vous partagez souvent vos commissions. Est-ce évident à réaliser ? Certains lecteurs vous posent-ils des colles ? Que détestez-vous dessiner ?

Pas de colle pour le moment. Je ne suis pas fan de Deadpool, j’avoue. Tant le perso que son design. Mais je ne connais pas bien, il faut dire. Sinon, si je ne sens pas une idée, je préférerais le dire à la personne. Il s’agit de ne pas faire un vilain dessin dans un livre, ou vendre une commission où je ne serais pas bon.

Facebook, un lien perpétuel avec le lecteur quand on est dessinateur, non ? Un métier de solitude ?

Je suis solitaire. Il y a un atelier de BD à 300 mètres de la maison, mais je ne ressens aucun besoin d’y aller. Il me faut du calme, ma musique ou la radio (comme en ce moment). Et du fait que je suis papa, travaillant à la maison, les journées de travail ne passent que trop vite.

Ce tome 2 de Fox-Boy est la fin d’un premier cycle, qu’est-ce qui attend le jeune héros rennais pour la suite ?

Des aventures inédites dans Pif, pardi ! Et puisque c’est le journal des 8-12 ans, ce sera une version plus légère, que je situe dans ma tête entre les chapitres 3 et 4 du premier album : Pol a son costume, ses pouvoirs, mais le drame qui clôt le tome 1 n’est pas encore survenu. Une sorte de parenthèse enchantée, comme les aventures de Spidey pour les Kids.

Fox-Boy - Laurent Lefeuvre - Pif Gadget juin 2016
La suite à découvrir dans le Super Pif de Juin!

Avez-vous d’autres projets ?

Oui. Outre continuer d’animer Fox-Boy, il y a l’adaptation en bande dessinée des nouvelles fantastiques de Claude Seignolle (un ami de votre Jean Ray national), chez Mosquito. Et puis d’autres idées, d’autres projets, mais il serait bien prématuré d’en parler maintenant.

Un tout grand merci, Laurent. On ne peut que donner rendez-vous au lecteur sur votre blog bien alimenté et regorgeant de trésors. Puis, il y a aussi le blog des éditions Roa qui vaut aussi le détour.

Fox-Boy - Tome 2 - Laurent Lefeuvre - couverture

Série: Fox-Boy

Tome: 2 – Angle Mort

Scénario, dessin et couleurs: Laurent Lefeuvre

Genre: Fantastique, Aventure, Super-Héros

Éditions: Delcourt

Collection: Contrebande

Nbre de pages: 112

Prix: 15,95€

Date de sortie: le 15/04/2016

Page Facebook: Paotr Louarn

Résumé: Fox-Boy est invité chez un expert en comics qui va lui en apprendre plus sur ses capacités. Mais plus que des réponses, c’est un déferlement d’action qui l’attend puisqu’il doit lutter contre des êtres surpuissants venus d’un univers parallèle. Il est évident qu’un petit renard-garou inexpérimenté ne peut lutter seul. Les secours suffiront-ils à conserver l’intégrité des dimensions respectives ?

Extraits:

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