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Contrecoups, le prestige de l’uniforme sali par le sang d’un innocent

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C’était il y a trente ans, mais ça pourrait avoir eu lieu hier. Et pourquoi pas demain? Car le problème des violences policières (de certains policiers sans aucun doute minoritaires que l’uniforme semble galvanisé) n’est pas réglé, en témoignent de nombreux faits d’actualité, heureusement « un peu moins » graves mais totalement déplacés, de la Place de la Bourse à Bruxelles à la Nuit Debout de Paris (pour piocher dans ce qui a fait la une ces dix derniers jours). Et que dire de la mort du jeune militant écologiste, Rémi Fraisse, en 2014, au barrage de Sivens? Oui, Malik Oussekine est mort, il y a trente ans, sous les coups d’un policier plus fou que zélé, et rien n’a pourtant vraiment changé. Ce qui rend d’autant plus estimable le roman graphique de Jeanne Puchol et Laurent-Frédéric Bollée qui retracent aujourd’hui cette tragédie évitable. 

6 décembre 1986, la nuit risque d’être longue. Le temps n’est pas à penser à la Saint-Nicolas, ni même à un quelconque esprit de Noël. La réforme universitaire du ministre délégué Alain Devaquet fait polémique et les étudiants comptent bien ne pas se laisser faire. La Sorbonne est occupée et c’est dans la rue que ces étudiants furieux, refusant le principe de sélection proposé, se font entendre, massivement. La police, et notamment les membres de l’unité PVM (composé d’une moto transportant un pilote et un passager usant de la matraque, des voltigeurs) charge allègrement dans le tas, comme des fous furieux face à des jeunes quasiment sans défense et s’interrogeant sur ce qu’ils ont fait pour mériter une telle furie. Mais, alors que les chaumières résistent au sommeil devant les apostrophes de Bernard Pivot, ces jeunes défendant leurs droits sont encore bien loin de s’imaginer qu’un peu plus tard, la nuit policière sera définitivement… meurtrière. Et qu’elle changera le destin de bien des gens.

Avec Contrecoups, Jeanne Puchol et Laurent-Frédéric Bollée ont choisi de prendre du champ, de s’émanciper un peu de la tragédie furtive et rapide pour prendre acte de ses répercussions avant et surtout après le drame. Ainsi, dans une dimension chorale, les deux auteurs emmènent le lecteur dans les environs de cette mortelle soirée : dans le calme avant la tempête du Samu, dans cette laverie où un homme fait un malaise, au cœur de la manifestation avec un jeune homme blessé remuant ciel et terre pour retrouver la charmante inconnue qu’il vient de rencontrer. Prenant le temps de quelques heures, c’est un véritable puzzle social que créent Puchol et Bollée. Le récit est vif, le tout se déroule au pas du thriller avec un véritable page-turning, dans un noir et blanc qui sert intensément le récit.

Et puis, c’est le drame au 20, rue Monsieur-le-Prince, un jeune homme coincé dans le hall d’entrée d’un appartement. Et un policier, trop acquis à sa cause, croyant sans doute trop que « son bras fait loi » et au pouvoir que lui confère son uniforme, de sombrer dans la folie de la violence. En tapant, heurtant, en ne mesurant pas les impacts de ses coups de matraque alors que son collègue tente de le raisonner. Mais c’est déjà trop tard et le jeune homme (dont on apprendra plus tard qu’il s’agit de Malik Oussekine, un étudiant sans histoire qui, semble-t-il sortait d’un club de jazz et non d’une quelconque manif’) est laissé plus mort que vif. Il décédera à l’hôpital quelques dizaines de minute plus tard. Crise cardiaque.

L’affaire fait des remous, bien sûr, et, alors que les officiels font ce qu’ils peuvent pour sauver leur peau quitte à salir la mémoire de la jeune victime, ceux qui ont côtoyé Malik de près ou de loin dans ses dernières heures sortent forcément chamboulés d’une soirée qui restera gravée dans leur esprit. Et déjà une autre manifestation voit le jour, pacifiste, et appelant au « Plus jamais ça ».

Or, les « plus jamais ça », on le sait, ça dure rarement. Et l’ouvrage de Puchol et Bollée, outre un aspect « comics » très réjouissant, est d’autant plus nécessaire. Sans prendre vraiment parti (et encore moins pour le pathos) mais en se plaçant comme observateurs d’un petit monde poussé au désespoir, dont les vies tranquilles sont interrompues par l’horrible, les deux auteurs posent les bonnes questions et ne peuvent que faire écho à notre société actuelle, dans ces débordements et avec ses abus de pouvoir.

Titre: Contrecoups – Malik Oussekine

Histoire complète

Scénario: Laurent-Frédéric Bollée

Dessin: Jeanne Puchol

Noir et blanc

Genre: Roman Graphique, Drame, Faits divers

Éditeur: Casterman

Collection: Écritures

Nbre de pages: 208

Prix: 18,95€

Date de sortie: le 16/03/2016

Extraits:

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