Réel pan de la culture à la française et à l’accent, tant en littérature qu’au cinéma et au théâtre, l’inoubliable Marcel Pagnol revient avec toutes ses oeuvres dans une collection de BD lancée par la collection Grand Angle des éditions Bamboo. L’occasion de prouver que plus de trente ans après sa disparition, l’auteur de Marius et Fanny (mais aussi de Merlusse et La Gloire de Mon père, les deux premiers récits adaptés) est toujours autant présent et emblématique… et donne toujours lieu à des adaptations inattendues mais très réussies, évitant les sirènes du marketing attendues et presque entendues.
Non, ici, bien plus qu’un quelconque produit commercial, c’est l’authenticité qui gagne les coeurs. Et sans doute n’est-il d’ailleurs pas étonnant de retrouver derrière cette collection deux descendants de participants de l’ère Pagnol: Nicolas Pagnol en personne et, co-scénariste, Serge Scotto, dont l’aïeul, Vincent Scotto, composa maintes musiques pour les films de Marcel Pagnol. Bref, une raison de plus d’avoir confiance et de se dire que ces nouvelles adaptations ont l’argument du coeur et de la passion.
Merlusse: au-delà des apparences
Ainsi, à l’heure où vous ranger sans doute votre sapin de Noël, on ne résiste pas à l’envie de vous parler d’un dernier petit conte (même si Noël et son esprit ne sont que des prétextes pour ce récit surtout universel et intemporel): Merlusse. Initialement écrit pour le cinéma (en 1935, quand même!), revoilà le professeur « Merlusse » Blanchard qui refait des siennes sous le scénario de Serge Scotto et Éric Stoffel et le dessin angoissant, puissant et au plus près de son sujet d’A. Dan.
Merlusse, c’est le surnom moqueur que lui ont donné les élèves de cet établissement scolaire de Marseille couvrant primaires et années de lycée. Il faut dire qu’avec son oeil en moins, sa longue cicatrice venue d’on-ne-sait-où et ses vêtements un peu pouilleux, Blanchard a peut-être l’avantage de la venue récente mais son tempérament bourru semble l’avoir précédé. Entre méfiance et blagues (le traditionnel clou sur la chaise du prof), les élèves restés à l’internat vont néanmoins devoir se tenir à carreau: cette nuit particulière de réveillon de Noël, c’est le terrible Merlusse qui est au commande de la surveillance. Une nuit terrifiante plus que merveilleuse a priori mais si c’était là que le secret de Merlusse était révélé?
Passé un prologue aux couleurs chaudes, c’est pourtant le sépia morne de Magali Paillat qui envahit la cour de l’école et le dessin d’A.Dan. On n’est pas ici pour rigoler et le trait allié au fond réussit fort bien à le faire sentir. Sorte de monstre de Frankenstein fait humain, Merlusse émerge et la confrontation avec les jeunes insolents est immédiate. Le lecteur n’a même pas le temps de connaître Blanchard qu’en une gifle, il se dit déjà: « mais quel sale type ».
Et c’est là toute la force des auteurs de cette lecture nouvelle du conte (pas si) noir de Pagnol: en quelques traits, quelques mots, les personnages prennent vie et le lecteur choisit son camp et s’attache aux gamins. Le cadrage est anxiogène, colle parfaitement au récit, et prouve – s’il en était besoin – l’intérêt de cette relecture dessinée et aux effets bien différents, dans ses magnifiques contrastes notamment (les couleurs de Magali Paillat n’y sont assurément pas pour rien), de ceux que le cinéma met en oeuvre. À chaque support ses qualités et ses limites, et cette nouvelle BD prolonge celle du film octogénaire. Le travail des auteurs est brillant et saura sans aucun doute conquérir les petits et les grands qui n’auraient sans doute jamais pris le temps (et on peut le regretter, mais la vie d’une oeuvre, cinématographique du moins, est ainsi faite) de regarder ce film poussiéreux et noir et blanc.
Titre: Merlusse
One Shot
D’après l’oeuvre de Marcel Pagnol
Scénario: Serge Scotto et Éric Stoffel
Dessin: A. Dan
Couleurs: Magali Paillat
Genre: Drame, Conte de Noël
Éditions: Bamboo
Collection: Grand Angle – Marcel Pagnol en BD
Nbre de pages: 56 (+ 6 pages de suppléments)
Prix: 15,90€
Date de sortie: 04/11/2015
Extraits:
La gloire de mon père: le souffle de l’enfance parmi les rhododendrons
On quitte la froideur de l’hiver de Merlusse, pour ne pas aller beaucoup plus loin. On reste à Marseille mais on prend les chemins des vacances et de l’école buissonnière du tout jeune Marcel Pagnol en personne. Le quotidien dans la garrigue du Garlaban et l’insouciance de l’enfance est alors si gai et si marquant que l’écrivain les relatera bien des années plus tard dans La gloire de mon père. Des « Souvenirs d’enfance » que la BD se propose de faire rejaillir par l’entremise, toujours, de Serge Scotto et Éric Stoffel accompagnés cette fois du dessinateur Morgann Tanco.
Aubagne, à quelques kilomètres, début du XXème siècle, la vie du petit garnement qu’est Marcel est rythmée entre l’école, le spectacle cocasse de l’abattoir juste en face de sa fenêtre, les 400 coups comme seuls les enfants savent le faire et la lecture d’illustrés. Bref, les choses simples et enthousiasmantes d’une vie familiale au beau fixe. Dans cette famille soudée, Marcel sait aussi se faire aidant. Encore plus lorsque sa maman lui donne un petit frère, Paul, et une petite soeur, Germaine. À l’arrivée de celle-ci, la famille Pagnol (accompagnée de la tante et l’oncle « Jules » de Marcel) de se mettre au vert et de rallier une petite villa défroissée à la campagne chaleureuse. Pour Marcel, l’excitation est à son comble et c’est la tête remplie d’histoires et d’exploits à venir qu’il prépare le grand déménagement. Voici venu le bon temps des vacances infinies et des découvertes à nul prix. Celle de l’univers de la chasse (au trésor presque) à la bartavelle, aussi, perdrix rare et conférant gloire à celui qui la ramène en trophée. Et aussi vrai que son père n’est que novice dans l’art de la chasse, le petit Marcel compte bien le suivre et l’aider. Mais les adultes voudront-ils l’emmener sur ce territoire dangereux?
Rien ne vaut un bon classique, noir sur blanc, lettre sur page, c’est un fait. Mais il faut reconnaître le talent de certains à réenthousiasmer le lecteur autour de cette dite oeuvre tout en lui donnant une autre forme. Au début des années 90, Yves Robert avait réussi ce pari. 25 ans plus tard, Serge Scotto, Éric Stoffel, Morgann Tanco et Sandrine Cordurié le relèvent une nouvelle fois haut-la-main. On y retrouve tout ce qui fait la réussite de l’oeuvre de Pagnol, ce quotidien, cette nostalgie, cette frénésie de l’enfance et l’aventure à quelques pas de la maison. Bardée d’actions au jour le jour, cette adaptation brille par son scénario bien négocié, elle rayonne par le fantastique trait de Morgann Tanco, qu’on ne connait que trop peu mais à l’efficacité redoutable autant dans le suspense que dans l’expression de ses personnages, dans la dynamique de l’aventure que dans l’humour qui se dégage de certaines scènes pas loin d’être cultes (l’étouffement de Paul, par exemple).
Et ce même si, détail infime, le dessinateur a encore un eu de travail sur… les canards. Autre argument de poids: la couleur de Sandrine Cordurié qui opère presque un petit miracle à chaque case pour faire ressentir si bien l’ambiance et l’époque de ces tendres tranches de vie. C’est du très joli et on est totalement séduit!
Bref, On n’aurait pas misé un sous sur cette collection et on aurait eu tort, nous voilà à attendre impatiemment la sortie du premier acte de Topaze. On ne change pas un équipe qui gagne, Scotto et Stoffel scénariseront cette adaptation de la pièce de théâtre qui a connu une dizaine d’adaptation cinématographique (dont deux (!) par Pagnol) tandis qu’Éric Hübsch lui donnera corps et dessins. On a hâte! D’autant que c’est une grande épopée que se sont lancées les Éditions Bamboo, l’adaptation de l’intégralité des récits de Pagnol. Et toute souris de bibliothèque vous dira qu’il y en a pour des années!
Titre: La gloire de mon père
One Shot
D’après l’oeuvre de Marcel Pagnol
Scénario: Serge Scotto et Éric Stoffel
Dessin: Morgann Tanco
Couleurs: Sandrine Cordurié
Genre: Chronique familiale, Aventure, Autobiographie
Éditions: Bamboo
Collection: Grand Angle – Marcel Pagnol en BD
Nbre de pages: 85 (+ 5 pages de suppléments)
Prix: 18,90€
Date de sortie: 04/11/2015
Extraits:
2 commentaires