Black Mass, énième histoire de gangsters d’une Amérique héroïque

Le film de gangster est un genre en soi, surtout dans le cinéma américain contemporain, films que des réalisateurs comme Scorsese, Friedkin, Brian De Palma ou Coppola ont transcendé pour aller vers le documentaire filmé. Même phénomène avec les séries américaines comme « Les Soprano » ou « The Wire ». Critique et réflexion à la lumière de la sortie de « Black Mass » (retitré pour la France, et sans aucun intérêt, « Strictly Criminal ») de Scott Cooper. L’histoire d’une collaboration entre le FBI et le truand irlandais James Bulger pour éliminer l’ennemi intime et commun: la mafia italienne. 

Black Mass - Johnny Depp - SCott Cooper
Dans ces divers entretiens, Cooper reconnaît les influences seventies avec force et essaie, dans son dernier film, d’en emprunter le style voire les dialogues comme les situations.  Comme pour  The Town (2010) de Ben Affleck, on sent dans Black Mass toute la puissance et la pesanteur des quartiers de Boston dans le destin et la vie des personnages, de l’enfance à l’âge adulte. Sorte de déterminisme, voire de darwinisme social bien pesant dont les personnages n’arriveraient pas à sortir, naviguant entre le bien et le mal, entre petites frappes délinquantes et FBI aux mœurs ambiguës. À tel point qu’à la fin de The Town, le personnage joué par Ben Affleck ne s’en sort qu’en fuyant sa ville natale, Boston. Blackmass est donc aussi un film qui apporte son lot de scènes insoutenables (tabassage en règle, meurtres arbitraires et procès en tout genre…).
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Alors, ce qui fait ainsi l’intérêt de ce genre de film, c’est la reconstitution historique seventies, entre les voitures, les costumes, les rues ou les quartiers de South Boston avec la description du gang Bulger. Ce genre de long métrage se définit aussi par les seconds rôles aux trognes patibulaires (mais presque!) servies par des acteurs comme Joel Edgerton, Rory Cochrane, James Scott ou Corey Stoll. Il s’agit bien de marquer une époque.
Plus généralement, ce qui faisait la force et le côté précurseur des films mafieux de Scorsese, c’est le volet documentaire avec des personnages vivant quotidiennement, ayant des enfants, se mariant, trompant leur femme, c’est particulièrement vrai pour « les affranchis »(1990)…le tout créant une société ethnographiée par le cinéaste pour une vision chrétienne de cette faune (pas de rédemption ou si peu pour ces gens-là!).Afficher l'image d'origine
Même phénomène dans le film de Scott Cooper (à qui l’on doit une autre rédemption, celle de Jeff Bridges dans le bluesy Crazy Heart), on connaît le destin de ces gens mais le spectateur jubile de regarder ces hommes tomber quand ils ne se fracassent pas sur les murs qui se dressent devant eux.  En effet, que ce soit des longs métrages comme American Gangster,  Blow (aussi avec Johnny Depp),  Public enemies (encore avec Johnny Depp) ou Donnie Brasco (toujours avec Johnny Depp), les tenants et aboutissants de ces longs métrages font apparaître au départ des législations laxistes ou incompétentes où des mafieux et petits délinquants prospèrent en toute impunité. Et ce, même si avec les années, les autorités fédérales ou celles de la ville commencent à s’organiser avec de nouvelles lois plus répressives, de nouveaux hommes de loi (remplaçant les corrompus) mettant en place une répression plus efficace. Généralement, cela prend plusieurs années voire des dizaines pour composer une véritable radiographie des mœurs mafieuses ET américaines.
Dans le film qui nous occupe, Johnny Depp fait le boulot avec son regard et ses yeux d’acier, de petite frappe, il devient un vrai caïd. Johnny Depp s’est fait la gueule de James Bulger à un tel point qu’il en est méconnaissable, avec front chauve, yeux perçants…rôle à Oscar? Sûrement… Puis Black Mass aligne des scènes d’anthologie comme celle du repas entre amis, scène… copiée directement sur celle de Joe Pesci dans Les affranchis. Il s’agit de bien faire comprendre aux spectateurs à qui on a affaire:
Ainsi, le film de gangsters appartient, et cette nouvelle fresque le rappelle encore, à part entière, au patrimoine culturel américain. Cela s’explique par les périodes historiques courtes des Etats-Unis, leurs hors-la-lois font partie intrinsèque de leur passé tout proche, à l’image de Jesse James, John Dillinger, Billy The Kid ou Al Capone…un film comme L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (datant de 2007) montre bien cet état des choses: comment se fabrique-t-on une légende historique à partir d’histoires, de contes ou de légendes rapportées. À tel point que Jesse James fait maintenant partie des héros positifs américains (un acteur comme Brad Pitt est suffisamment malin pour comprendre l’importance de ce type de rôle dans sa filmographie).
L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
Dans ces films, deux faces se font voir:  des films de gangsters qui sont de vraies réussites à l’image des Affranchis, de Scarface ou American Gangster, mais aussi des caricatures de films, à l’image de Donnie Brasco (1997), d’après l’histoire vraie de Joseph D..Pistone, un des premiers agents du FBI, qui infiltra la Mafia new-yorkaise. Dans ce cas, situations convenues, acteurs stéréotypés et un « package » d’acteurs dits mafieux ou vus dans ces rôles dans d’autres films, à savoir Al Pacino (Le Parrain en surface immergée d’un énorme iceberg cinématographique), Michael Madsen (Reservoir Dogs), James Russo (Snake Eyes) ou Bruno Kirby (Le Parrain 2) ; tous ces ingrédients font de ce film une belle déception.
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Par ces films, il y a aussi cette idée que les mafias italiennes, irlandaises ou russes ont construit les USA, l’ont élevé au rang de première puissance mondiale à l’image du film de Sergio Leone Il était une fois en Amérique (1984) ou celui de Sidney Lumet Jugez-moi coupable (2006) où près de 70 mafieux, dont le personnage de Vin Diesel, s’en tirent à bon compte après leur jugement. Les juges considérant qu’ils ont fait plus de bien à la société que de mal, à travers leurs services de protection, d’aides mutuelles familiales et sécurité de quartiers (véridique!). Ces rôles symboliques de mafieux étant dévoyés ou caricaturés dans certains films récents comme Mafia Blues, Miller’s crossing ou Ghost dog de Jim Jarmusch où les mafieux italiens se voient canarder par des salades et autres légumes par des enfants joueurs et farceurs. Pour vous dire comment on les considère peu sérieusement à l’heure actuelle… Alors, les films de gangsters, les vrais, les durs, vestige du passé?

Billet signé Dominique Vergnes

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